Panique au village

Interview de Vincent Patar et Stéphane Aubier

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Vincent PATAR et Stéphane AUBIER, c’est une longue histoire. Depuis leur rencontre à l’Ecole d’animation de La Cambre à la fin des années 80, ils ne se sont plus quittés. Leurs personnages sous le bras (Pic Pic pour Stéphane, Coboy et André le mauvais cheval pour Vincent), ils donnent naissance au programme de courts Pic Pic André mêlant joyeusement animation 2D, papier découpé, humour convulsif et doublages à se damner.

Férus d’univers enfantins et d’humour biscornu, le duo se lance ensuite dans l’aventure de la série télé : des figurines de plasticine chinées dans les brocantes et une animation en stop motion sommaire confèrent à Panique au village un cachet à la fois naïf et culotté, attachant et cruel, comme les jeux de notre enfance. Et tandis que leur univers très personnel a suscité de nombreuses collaborations (Benoît POELVOORDE, Dionysos…), les deux animateurs travaillent actuellement dans le plus grand secret à son long métrage… Mais l’actualité du moment, c’est la sortie en France du DVD de Panique au Village le 30 mai prochain.

C’est l’envie de vous diversifier qui vous a poussés à toucher à l’animation en volumes pour Panique au village ?

Stéphane AUBIER : Quand on était à l’école, on nous demandait de faire un maximum de choses différentes, pas de se cantonner à essayer de dessiner Donald. On a alors fait des dessins en papier découpé pour changer du dessin animé. Et puis Vincent a fait un film d’animation sur une chanson de Dario MORENO, Tout l’amour, avec une marionnette en plasticine, dans le style de celles de Tim BURTON. En ce qui me concerne, durant notre dernière année d’école, j’avais envie de faire un petit film d’animation en 3D. Mais comme je m’y étais pris beaucoup trop tard, j’ai dû aviser : un copain avait fait des petites maisons dans des boîtes d’oeufs, et je trouvais ça vraiment joli. Alors j’ai pris des petites figurines représentant des personnages de ferme, et avec Vincent, on a construit une espèce de petite crèche autour de ces maisons. Quand j’ai commencé à filmer, j’ai imaginé un scénario autour, j’ai un peu agrandi le décor… C’est comme ça qu’est né Panique au village ! (ce premier épisode est disponible sur les bonus du DVD, ndlr).

Vincent PATAR : Quand on regarde les choses maintenant, on a l’impression que le terreau était préparé longtemps à l’avance ; on s’amusait, on récupérait des vieux journaux, on faisait du papier découpé… Et la matière était là, sous nos yeux. Des éléments se sont accumulés jour après jour, et au lieu qu’ils prennent la poussière, on les a utilisés !

S. A. : Puis quand on est sortis de l’école, en 1991, on a créé ensemble l’ASBL (Association sans but lucratif, ndlr) Pic Pic André Productions qui existe toujours pour produire Le voleur de cirque, un court métrage commencé à l’école. Mais on a un peu traîné dessus, la technique du cellulo devenait lourde… et puis on avait besoin de faire des petits boulots alimentaires.

Lesquels par exemple ?

S. A. : (dans un éclat de rire) : Un clip pour… Plastic BERTRAND !

V. P. : Pour Les Joueurs de Tchick Tchick, en 1994 : son come back période Red Hot Chili Peppers ! (rires)

S. A. : Ce clip ressemblait déjà à Panique au Village, au niveau des décors, de la technique…

V. P. : Un petit train, des décors en carton, des marionnettes… l’imagerie était déjà là. Après, on a fait des boulots qui nous ont plus excités, notamment un clip pour Dionysos. Le dernier clip qu’on ait fait reste celui qu’on préfère : une vidéo pour Gisli, réalisée avec la technique de Panique au village.

Comment s’est passée la rencontre avec les groupes ?

V. P. : Dans le cas de Dionysos, c’est le chanteur qui aimait bien notre travail. Il a insisté auprès de sa maison de disques pour les convaincre, parce qu’ils n’y croyaient pas ! En revanche on ne connaissait pas du tout Gisli, c’est EMI Angleterre qui nous a choisi en voyant le catalogue de Passion Pictures la boîte de production qui s’est notamment occupée de Gorillaz.

Comment se sont ensuite montés les projets plus persos ?

S. A. : On a fait un premier Pic Pic André en 1995 : The first. Et comme ça nous a bien plu, on en a fait un 2e deux ans plus tard, puis un 3e encore deux ans plus tard : le dernier date de 1999. Puis en 2000, est sorti Panique au village. La petite histoire, c’est qu’on avait sorti une K7 vidéo avec tous les Pic Pic André, Babyroussa, Les Baltus etc (Pic Pic André et leur amis, dispo en VHS et DVD)… Et puis comme on avait encore un petit peu de place sur la K7 on avait fait une erreur de frappe, on avait écrit 59 min et ça n’en faisait que 49 ! on s’est dit qu’il fallait rajouter un truc au hasard… On a alors retrouvé une vieille cassette du premier essai de Panique au village. C’est donc cet épisode qu’on a mis sur la K7 !

Le Grand Prix de la Série TV d’Annecy en 2001 (pour le pilote Le gâteau) a dû vous aider à trouver les financements pour développer la suite de la série ?

S. A. : Oui, du coup la série a été achetée par Canal +, et WDR en Allemagne.

V. P. : C’est là qu’on a tout lâché au niveau production, c’était trop lourd à gérer… Donc on a tout délégué à Vincent TAVIER qui venait de créer sa boîte – La Parti Production – avec Philip KAUFMAN et Guillaume MALANDRIN. C’est donc eux qui ont lancé la machine.

S. A. : Et avant ce Prix d’Annecy, la région Wallonie avait décidé de donner de grosses aides aux gens qui utilisaient du matériel digital. Or, on avait justement tourné l’épisode Panique au Village avec un appareil photo digital ! Ils nous ont donc aidés pour notre projet de série. Un gage de confiance supplémentaire pour les investisseurs ultérieurs comme Canal Plus !

Combien de temps vous a pris la réalisation de Panique… ?

S. A. : On est entrés au studio de Saint Josse mi décembre 2001, on a tourné jusqu’à fin novembre 2002. Mi janvier 2003 tout était terminé ; en gros ça a pris 14 mois pour boucler le tout. C’était un planning de malade, parce qu’on devait mixer 6 épisodes par 6 épisodes : une fois qu’on avait fini de tourner 6 épisodes, les ingénieurs s’occupaient de la post production, pendant que nous nous occupions des 6 épisodes suivants. Il fallait avancer vite, parce que les premiers épisodes passaient déjà à l’antenne pendant qu’on continuait à tourner ! La série a été diffusée en France d’abord, puis la Belgique a suivi.

Par quels pays la série a-t-elle été achetée depuis ?

S. A. : L’Allemagne, les pays du Nord. La série passe aussi régulièrement sur une télé québécoise, on reçoit des mails de gens qui la voient le matin… Il paraît aussi qu’il y a une version italienne. Et puis des Japonais de chez Gokkins (voir notre article sur Open Art) ont acheté les droits de diffusion pour faire un DVD, je crois qu’ils vont les sortir par huit épisodes… Ils ont déjà fait des interviews, ça sera certainement un truc sérieux, mais on ne sait pas bien par exemple s’ils ont prévu une VO, ou des doublages… Sinon, l’Angleterre va la diffuser sur Nickelodeon, mais ils veulent être vraiment sûrs que toutes les petites musiques qu’on a utilisées dans les épisodes sont libres de droit.

Pourquoi, vous les avez volées ces musiques… ?

V. P. : On a repris des petites musiques à gauche et à droite, qui n’ont plus d’éditeurs. On a aussi fait appel à des copains, notamment au Révérend Beatman. C’est un historien de la musique américaine ; il y a quelques années, il faisait le Elvis des années 50, maintenant il est plutôt prédicateur des années 20…

C’est le prestigieux Studio Aardman qui s’occupe du doublage pour l’Angleterre. C’est un vrai challenge, parce que l’intérêt et l’originalité de la série Panique au village réside aussi énormément dans son doublage…

V. P. : Oui, surtout que pour ce genre de techniques, il n’y a pas de lipping (technique de doublage qui consiste à faire coïncider les sons aux mouvements originels des lèvres d’un personnage ; mouvements de lèvres dont sont par nature dénuées les figurines de plasticine… ndlr) ! Tout est dans le travail de la bande son. En plus, l’enjeu est très important, puisque c’est la version anglaise de la série, donc celle qui va s’exporter partout ! Aardman a vraiment bien travaillé, et il y a eu un vrai échange entre nous.

S. A. : On avait fait une bible auparavant, en expliquant pas exemple que Cheval étant un ancien mineur du Nord de la France, il avait par conséquent beaucoup fumé… Alors Aardman a dégoté un type avec un accent d’ancien ouvrier du Nord de l’Ecosse.

V. P. : Coboy a l’accent de Liverpool, et Indien l’accent juif new-yorkais. Il est d’ailleurs assez proche de la version originale !

Comment vous êtes-vous retrouvés à doubler vous-mêmes certains de vos personnages, et ce dès les premiers Pic Pic ?

V. P. : Naturellement. Au départ, comme on faisait ces films à l’école, on ne pensait même pas à aller chercher quelqu’un d’autre. Il fallait une voix, donc on s’y collait !

S. A. : On avait l’habitude de raconter des histoires avec des accents particuliers, pour exprimer un truc bien précis… On a donc fait passer ce genre de choses sur le film, mais il ne fallait pas non plus en abuser. L’idée, c’était de se caler sans que ça devienne une pièce de théâtre !

V. P. : Il faut savoir doser, et ne pas verser dans le comique pouët !

Vous dites chercher à coller des bruitages réalistes sur des dessins qui ne le sont pas du tout.

V. P. : En effet, je pense que l’utilisation d’une bande son réaliste amène une vraie réalité à l’animation, comme le travail des accents sur les voix. On n’avait pas vraiment étudié le truc, c’est plutôt venu en se laissant aller, en laissant le personnage parler… Il faut laisser le droit à la spontanéité, c’est ça qui donne le côté réaliste et vivant. Et quand on imagine une histoire, on est persuadés de la vie des personnages qu’on anime.

S. A. : À l’école, on enregistrait des sons simples, comme marteler sur la table pour simuler des bruits de pas. Les sons réalistes sont venus ensuite, quand on a fait appel au bruiteur Bertrand BOUDAUD. On ne voulait pas d’effets à la Tex AVERY, parce qu’on en a trop entendu. C’était drôle dans les années 40, mais plus maintenant ! À l’inverse, quelqu’un comme Terry GILLIAM m’a toujours bien fait rigoler, notamment à travers ses génériques. C’est l’un des rares à faire des bruitages qui font encore rire 20 ou 30 ans après !

Cette espèce de musique déglinguée sur Pic Pic ou Panique, ça vous vient d’où ?

S. A. : Pour le générique de Pic Pic André, on avait écrit les paroles, on les a données à Daniel Daniel, un copain plasticien et musicien, et il a improvisé une petite mélodie à partir de ça. Dans le cadre de Panique au Village, on a demandé à un copain qui s’appelle Bernard PLOUVIER, il nous a fait des propositions dans le genre générique de série américaine, des trucs à la Yves DUTEIL, et finalement on a choisi ce truc un peu country…

V. P. : … C’est comme un rite à chaque épisode !

Comment s’est déroulée votre participation à l’habillage de Mr Manatane ?

S. A. : C’est POELVOORDE qui nous a demandé de réaliser un générique. Au début, il avait en tête ces petits livres des années 60, genre J’installe ma chaîne Hi Fi, je ne sais pas si vous avez ça en France…

V. P. : Des Marabout Flash !

S. A. : C’était parti sur cette idée là, puis nous avons pensé plutôt à du papier découpé, des petites marionnettes un peu dans le style de Baltus… Je me demande aussi si on ne pensait pas un peu au générique de Hibernatus (l’air songeur)… Je ne sais pas si je l’ai vu avant ou après, mais il s’est passé quelque chose avec ce générique (rires) ! La musique, c’est un 33 tours de chansons wallones traditionnelles, passé en 45 tours. On a l’impression que c’est Claude FRANCOIS qui chante, ça colle bien avec ce personnage de Mr Manatane !

Vous avez quelque chose de fort avec Claude François, non ?

S. A. : Oui, il nous fait rigoler ; enfin le Claude FRANCOIS de la période Podium, tout ça… C’est quand même un journal culte ! On est devenus fous parce qu’il y avait notamment des espèces de jeux de 7 erreurs, avec par exemple deux photos de Julien CLERC : sur l’une, il avait un verre de bière devant lui, et sur l’autre, le verre avait bougé…

Quelles sont vos influences, vos inspirations ?

V. P. : On a lu et relu Crimes et châtiments… (rires) Sinon, plein de trucs qu’on avait sous la main quand on était gamins…

S. A. : Moi j’aimais bien Pizzy l’ourson, un truc danois ou hollandais : un ours qui a un copain qui s’appelle Dingo, un pélican qui s’appelle Ricky, un amiral ours… Sinon j’aime bien TRAMBER, un Français qui dessinait Pipo l’intello et William vaurien, ses BD passaient dans L’Echo des savanes et Métal Hurlant… Génial, super beau, vraiment débile.

On retrouve aussi un peu de l’univers de Pierre LA POLICE dans la famille Baltus, avec un côté volontairement outrancier, des personnages laids et déformés…

V. P. et S. A. : Ah oui, à fond !

V. P. : On a déjà bu des bières avec lui, avec le temps, on s’est rendus compte aussi qu’on avait des amis communs… On aime bien son univers.

S A. : D’ailleurs, en ce moment on travaille sur une affiche pour un festival (les Nuits du Botanique), et on a utilisé à nouveau des persos en papier découpé dans le style des Balthus.

Et la famille JONZE / GONDRY / KAUFMAN ? Eux aussi travaillent avec une nébuleuse de collaborateurs proches de leur univers, et affectionnent également les thématiques « régressives »…

V. P. : J’ai beaucoup aimé le travail de narration d’Eternel Sunshine of the spotless mind.

S. A. : En fait, on ne connaît GONDRY que depuis 3 mois ; mais c’est vrai que dans les premiers clips qu’il a réalisés pour son groupe Oui Oui, il y avait en effet des éléments qui peuvent faire penser à Pic Pic André… J’aime bien Gary LARSON aussi, parce qu’il pense à des trucs auxquels personne ne pense ! J’ai acheté un livre où il décrit le processus de création de ses vignettes. Nous, on fait des strips chaque semaine depuis 5 ans dans un journal qui s’appelle Télé Moustique (voir iconos ci-contre). Or parfois, on se dit que ce serait mieux de n’avoir qu’une seule case ! Certaines idées sont plus pratiques à développer en une seule image.

De quoi parlent ces strips ?

S. A. : Depuis peu de temps, on s’est lancés dans les chroniques de musique : Pic Pic écoute des disques et les commente. De Pierre BOULEZ à Sid VICIOUS, en passant par Front 242, MOZART, ou encore Pierre BACHELET…

C’est vrai que dans un épisode de Pic Pic André, on voyait déjà Pic Pic se démener pour réparer le saphir de son vieux tourne-disque…

V. P. : Ah mais d’ailleurs, si tu regardes les disques sur ses étagères, tu y verras les Cramps, A Certain Ratio… C’est assez pointu ! Pic Pic écoutait du funk blanc bien avant la mode de Franz Ferdinand (rires) !

Propos recueillis lors du Festival Anima, Bruxelles, février 2005.

À lire : le compte rendu du Festival Anima dans l’AL #110.

À consulter : http://www.awn.com/folioscope/” target=”_blank” class=lienvert>le site du Festival Anima.

Le site de http://www.paniqueauvillage.com” target=”_blank” class=lienvert>Panique au village

Le site de http://www.picpicandre.be/” target=”_blank” class=lienvert>Pic Pic André.

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