Interview : Ryô AZUMI (La Bible Manga)

Des Nibelungen à Moïse

0

C’est à l’occasion de sa venue au Salon du Livre à Paris en mars dernier que nous avons rencontré Ryô Azumi, dessinatrice de La Bible Manga (BLF Europe), une adaptation graphique de l’Ancien Testament.

Comment vous êtes-vous lancée dans la carrière de mangaka ?
Depuis toute petite, j’aime le dessin et le manga. Au lycée, je dessinais des histoires que je proposais aux éditeurs, mais sans succès car on jugeait mes écrits trop jeunes. Après le lycée, j’ai démarré des études de graphisme. Dans le même temps, j’ai rejoint un collectif de mangaka amateurs et nous avons travaillé sur un dôjinshi commun. Finalement, j’ai été remarqué et j’ai commencé ma carrière professionnelle à la suite.

Vous avez publié plusieurs œuvres situées dans l’univers des mythes et récits vikings. Akai Tsurugi, Ring of the Nibelungen ou Mysterion. Qu’est-ce qui vous attire dans ces univers ?
En tant que mangaka, nous jouissons d’une grande liberté. Nous pouvons puiser notre inspiration là où nous le désirons et il est normal, pour nous, de nous inspirer de références étrangères. Comme j’ai beaucoup lu de mythes et de récits nordiques au lycée, j’ai eu à cœur de les mettre en scène.

En 1997, vous redécouvrez le Christianisme. Que s’est-il passé ?
Je viens d’une famille bouddhiste, mais mon oncle maternel et sa proche famille sont des Catholiques. Petite, il m’offrait des images pieuses de Jésus et Marie accompagnées de petits textes. Je ne les comprenais pas, mais j’aimais les illustrations. À l’école primaire, l’une de mes camarades de classe se rendait au catéchisme le dimanche matin. Il m’est alors arrivé de l’accompagner. Pendant plusieurs années, je me suis donc rendue au catéchisme, mais je me sentais un peu différente des autres. J’étais très rationnelle et je réfléchissais beaucoup à ce qu’on m’apprenait. En fait, je doutais beaucoup. À la fin de chaque cours, notre enseignant demandait à tous les enfants : « Alors, vous croyez ? », et tous de répondre : « Oui, nous croyons ! » Mais ce n’était pas mon cas. Je n’étais pas sûr de croire en Dieu et, si j’avais dit oui, j’aurais menti. Je préférais donc ne pas répondre… Aujourd’hui encore, je n’ai pas tellement changé et je remets régulièrement ma foi en question (sourire). Au Japon, une fois le collège intégré, le travail devient très difficile et je me suis éloigné de l’église à cause des cours. Malgré tout, il m’arrivait quand même de lire la Bible ou de prier. Après mes 20 ans, j’ai donc commencé à travailler comme mangaka et j’ai rencontré beaucoup de difficultés. Des problèmes financiers, des tensions, des disputes, etc. Finalement, je suis tombée en dépression et j’ai consulté un psychiatre qui a fini par me dire : « Je ne crois pas que votre problème soit d’ordre psychologique, mais plutôt spirituel ». Je me suis alors rappelé mes souvenirs d’enfance et l’ambiance joyeuse qui régnait dans le milieu chrétien. Après mûre réflexion, j’ai décidé de retourner à l’église et de renouer avec la foi. Je me suis alors rendue compte que je vivais depuis quatre ans à côté d’une église que je n’avais jamais remarqué ! J’ai donc commencé à la fréquenter et, en 1997, je me suis fait baptiser.

Vous signez les tomes La Mutinerie et Les Magistrats. Comment avez-vous préparé l’adaptation graphique ? Avez-vous fait des recherches sur les costumes ou l’archéologie pour coller au plus près de l’époque ?
Oui, j’ai procédé à beaucoup de recherches. J’aime beaucoup l’histoire, ces recherches ne m’ont donc pas été pénibles. En revanche, j’étais très surveillée quant au texte, mais je jouissais de beaucoup de liberté au niveau des dessins. Le projet de départ consistait à adapter l’Ancien Testament (AT) en trois tomes. Il fallait donc réfléchir à la façon de couper les livres et de les adapter car l’AT est tellement long qu’il aurait été impossible de le proposer en intégralité. Je l’ai donc lu plusieurs fois pour sélectionner quelles parties mettre en images.

Que ressent-on, en tant que croyant, à adapter son propre texte sacré ?
Il s’agissait d’une grande responsabilité. Mais si j’avais trop songé à cela, j’aurais été incapable de signer La Mutinerie et Les Magistrats, cela aurait été trop lourd à tenir. De plus, je suis persuadé que l’histoire de l’AT peut passionner tout un chacun, y compris les non-chrétiens. Ce n’était pas mon objectif premier de convertir et je ne pensais pas à cela en dessinant mes manga. J’ai reçu cette proposition de signer une version manga de l’AT et je l’ai acceptée et traitée comme s’il s’agissait d’un projet classique. Même si je n’avais pas été croyante, je l’aurais probablement accepté.

Avez-vous un message pour vos lecteurs ?
Je suis contente de voir que les manga sont très appréciés en France. Et cela constitue aussi une vraie surprise : il aurait été dur d’imaginer un tel engouement il y a de cela vingt ou trente ans. Cela me réjouit et je pense que les mangaka doivent tenir compte de ces lecteurs à l’internationale et qu’ils gardent une vision plus globale de leurs récits. Il est donc très important qu’ils prennent conscience de leurs points forts et faibles. Il nous faut donc prendre conscience du regard des autres.

Traduction : Tetsuya Miyasaka
Remerciements à Ruben de BLF Europe.

Note : le dernier tome de l’Ancien Testament, Les Messagers, sortira en octobre 2012.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur

Nicolas-Penedo