Project Itoh : Harmony

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Harmony

Second film diffusé dans le cadre du projet Itoh, Harmony a été confié au génial studio 4C°. Un choix pas anodin, puisque ce dernier excelle quand il s’agit de porter sur grand écran des récits intimistes, caractériels et terriblement puissants.

Il y a des réactions qui ne trompent pas. Une fois le générique des crédits tombé, la salle du Grand Rex, bien remplie pour la première d’Harmony hors Japon le 4 décembre 2015, se trouvait au cœur d’un clivage symbolisé par deux attitudes. D’un côté, celle réunissant les personnes les plus pressées d’épouser leurs cigarettes ou d’embrasser un menu Best-Of, de l’autre, les spectateurs désireux de se laisser le temps de digérer l’œuvre. Si aucun des clans ne détient le monopole du bon goût (libre à tout un chacun d’apprécier ou non un film), il apparaît certain que pour bon nombres d’observateurs, le rythme lent et la narration riche d’Harmony ont trop longtemps fait figure d’obstacle au plaisir. Dommage, tout l’intérêt du long-métrage réside là-dedans.

L’Ultime Secret

Sans entrer dans une compétition inutile avec The Empire of Corpses, Harmony se pose comme une œuvre bien mieux finie, car profondément plus intime. Non pas dans le fond, puisque nous trouvons plusieurs traits d’union entre les deux films, mais dans sa forme. Si The Empire of Corpses est ultra ambitieux, ne déguisant jamais ses illusions techniques très réussies, il a aussi trop démocratisé son puissant message d’amitié, faisant baigner la dose autobiographique de son récit dans une sphère commune moins intime.  Une volonté non partagée dans Harmony, où nous suivons Tuan, une jeune fille ayant raté son suicide dans une société japonaise futuriste aseptisée où chaque citoyen fait office de bien commun. Si le Japon est tombé dans cette espèce de bienveillance exacerbée, c’est à cause d’un fléau qui avait emporté avec lui une bonne partie de la population. Résultat, une fois atteint les 18 ans, le “WatchMe” vous est posé sur le corps, vous faisant intégrer les règles de vie, et une hyper vigilance, à adopter. Un moyen de protéger de façon imperméable la population, et de renforcer le bien ambiant, transformant les relations humaines en une sorte de leçon trop bien récitée.

C’est dans cette ambiance d’une pureté sans once de naturel que Tuan veut marcher sur les traces de Miach, son ancienne camarade de classe au discours révolutionnaire. C’était elle qui avait fait germer l’idée de l’insoumission à Tuan et Cian, dernière amie de ce trio, en leur demandant de l’accompagner dans un suicide exemplaire, étendard d’une jeunesse libre qui se battrait pour assumer ses sentiments, ses émotions. Sauvée par Cian, qui avait feint de participer à cette cérémonie, Tuan garde en mémoire la philosophie de Miach et va vouloir marcher sur ses traces jusqu’à ce qu’elle réapparaisse. Elle fera naître un fort sentiment de culpabilité poussant Cian à mettre fin à ses jours, et menaçant le monde d’un suicide collectif terrible. Tuan, navigant entre son adoration pour Miach et ses interrogations, s’en va traquer la terroriste…

 

WatchMe if u can

En nous plaçant dans la tête de Tuan, la réalisation nous permet de progresser au fil des pensées de la jeune fille, sans avoir à digérer une tonne d’informations, ni de rendre trop homogène des notions qui nous paraissent différentes (comme ce peut être le cas dans The Empire of Corpses). C’est par ce cheminement que nous rentrons lentement dans l’atmosphère du métrage porté par une direction artistique épurée et d’un chara design inspiré (jamais brusqué par la CGI). Ainsi, et bien qu’irrigué d’interrogations riches mais concrètes, loin de diviser le problème en autant d’interprétations, l’idéal d’une société sans peur revêt une certaine séduction. Pensez bien, si tout le monde avait la santé de l’autre comme priorité, quelle place pourrait occuper la subjectivité malsaine ? Cette quête du désir collectif se mord en réalité la queue. Si la peur a disparu d’elle-même, la nier ne l’effacera pas de nos esprits. De ce postulat, Tuan fera germer plusieurs idées tout au long du film, des observations que nous n’étalerons pas ici pour vous laisser profiter au mieux de cette narration maitrisée.

En fond, nous observons une nouvelle critique d’une société prenant le pas sur l’individu, sur ce qu’il est, et sur les idées qu’il peut générer. La force donnée aux mots apparait ici aussi comme l’un des ciments des écrits d’Itoh. Miach n’a comme arme que des mots et c’est d’un ton sûr que la terroriste stigmatise la fragilité de notre conscience pour façonner le monde comme elle l’entend. Fort ou faible face à la parole, chacun devra prendre position, ce qui est une idée contraire dans l’idéal d’Harmony.

Les mécanismes et les luttes idéologiques sont nombreux dans Harmony. Il y a ainsi fort à parier que le plaisir procuré soit plus fort lors d’un second visionnage. Riche, dense mais digeste, Harmony est un exemple d’équilibre que seuls quelques petits poncifs viennent ébranler. Du début à la fin, le film se montre cohérent sur tous les plans. Bien que moins expérimental sur le plan technique, comparé aux autres bébés du Studio 4C°, Harmony se dote quand même de séquences de très grande qualité, à commencer par le premier suicide, véritable bijou de mise en scène.

Arias (Amer Beton) et Takashi Nakamura (animateur sur Akira, réalisateur sur Robot Carnival) ont réussi, en qualité d’artistes très expérimentés, à conserver la sphère intime de l’héroïne tout en rendant la thématique accessible. Pas une mince affaire quand on parle de science-fiction, de peur, de désir, soit autant de notions subjectives au possible.

 

7.3 Mature et Intelligemment digeste
  • Réalisation 9
  • Scénario 8
  • Originalité 8
  • Design 7
  • Musique 6,5
  • Animation 6,5
  • Note public (survolez et cliquez pour voter !) (70 votes) 8.5
  • RéalisationMichael Arias, Takashi Nakamura
  • Chara-DesignRed Juice
  • StudioStudio 4°C
  • MusiqueYoshihiro Ike
  • Auteur originalProject Itoh
  • GenreScience-fiction / Thriller
  • Date de sortie2ème trimestre 2016
  • DiffusionCinéma le Grand Rex (04/12/2015)
  • Editeur@Anime
  • Durée129 minutes
  • LangueJaponais
  • Sous-titresFrançais
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A propos de l'auteur

Bruno

Défendre les couleurs d'AnimeLand était un rêve. Il ne me reste plus qu'à rencontrer Hiroaki Samura et je pourrai partir tranquille.