Breaking News

Tir perdu

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Le pitch de Breaking News se pose d’emblée comme diablement excitant : les forces de police souffrent d’un déficit de popularité après une fusillade urbaine durant laquelle un agent de police a levé les mains en l’air et imploré la pitié d’un chef de gang. L’inspecteur Rebecca, en charge de l’image de la police, décide de faire de l’opération de capture de ce gang un véritable show. Chaque policier portera désormais un micro casque dont les images seront reliées à un PC central de la police, puis montées et mises en musique… Justement, l’inspecteur Heng vient de retrouver le gang : ces derniers ont pris un appartement dans un immeuble HLM. La police tente de capturer le groupe, en attendant l’arrivée des renforts. Malheureusement, la situation dégénère, le gang étant très organisé.

Intentions et abstention

« Les films consacrés au monde du crime figurent parmi les oeuvres marquantes du cinéma de Hong Kong (…) En tant que cinéaste, quelles perspectives nouvelles allais-je pouvoir apporter à ce genre et au « style de Hong-Kong » avec lequel il est habituellement associé ? » : voilà l’interrogation que se pose Johnnie TO sur son film Breaking News. Une interrogation légitime et courageuse tout à la fois. En effet, lorsque John WOO (à la fin des années 1980) réalisa coup sur coup les chefs d’oeuvre que sont Le syndicat du crime 1 et 2, The Killer, Une balle dans la tête et Hard Boiled, il crée, presque ex nihilo, le genre du polar hongkongais et impose les gunfights comme le nouveau morceau de bravoure du cinéma de Hong Kong. Du coup, passer derrière WOO revenait à essayer de rattraper le maître, mais impossible de sortir de son ombre tant le réalisateur, aujourd’hui exilé aux Etats-Unis, se révélait génial.

Du coup, de timides tentative se sont fait jour pour essayer de représenter les fusillades à l’écran d’une autre manière. Et parmi les artisans de cette relecture du duel, on trouve TO : dans The Mission, l’homme proposait carrément l’antithèse du style de WOO. Au lieu de filmer des scènes tout en mouvement et au ralenti, il laissait ses acteurs immobiles et les filmait en plan large, sans aucun effet. Le résultat se révélait génial : la tension est poussée à l’extrême et le spectateur se prend une gifle visuel. Avec Running out of time, TO poussait alors le bouchon jusqu’à proposer un polar sans duels, mais reposant cette fois-ci sur une dynamique d’acteurs exceptionnelle.

Dans Breaking News, le metteur en scène chinois propose encore une nouvelle facette du genre, avec un film spectacle, ou plutôt un film sur le spectacle de l’information et de la violence. Pour un réalisateur de Hong Kong, cela revient à remettre en cause le cinéma de genre, trop prompte à faire l’apologie des triades (organisations mafieuse chinoises) et proposer de la violence gratuite en lieu et place d’une quelconque réflexion sur l’image.

Là où le bat blesse

On voit bien ce que TO veut raconter dans Breaking News : en tant que cinéaste, il sait que le montage reste, au cinéma ou à la télé, le travail le plus essentiel. Monter un reportage, ce n’est même pas altérer le sens d’un événement, mais carrément le verbaliser. Lorsqu’au journal télé, on suit un reportage de quelques minutes, il faut bien savoir qu’il y a au moins une heure d’images tournées derrière ! Le spectateur reste tributaire du montage proposé, donc du discours du journaliste.

Seulement, cette idée très courageuse de dénoncer la manipulation de l’image et donc l’illusion que constitue le cinéma n’est finalement jamais traitée. TO semble avoir tourné deux films : le premier, ironique et amer, dénonce une société dans laquelle le culte de l’image a valeur de loi. Le deuxième, par contre, ressemble à un très classique polar hongkongais, avec force explosions, gunfights et morts violentes… Certes, la tension est bien présente dans son film. Certes, le travail effectué sur le son (les détonations sont sur-mixées dans la bande sonore, le spectateur se trouvant presque écrasé) concourt à faire ressentir la violence constante du duel police/gangster. Mais malheureusement, ces efforts de mise en scène tombent à plat. Pourquoi ? Essentiellement par ce que les personnages de TO ne sont qu’esquissés, sans jamais que l’on sente de l’empathie pour eux. Yuan est ainsi le chef de gang presque sympathique, alors que le flic Heng a tout du policier froid et implacable. L’opposition entre les deux hommes reste donc désespérément classique, tant ce genre de figures conflictuelle ont été utilisé au cours de ces 20 dernières années. Du coup, le spectateur suit les protagonistes, mais ne se sent pas concerné par leur destin.

Finalement, il faut attendre la fin du film pour que quelque chose se décante. Lorsque Yuan se retrouve menotté à Rebecca et qu’il tente de s’enfuir, on sent quelque chose de très beau et triste se réaliser à l’image. Yuan dévoile alors ses faiblesses : sa fuite perpétuelle et son absence de tranquillité (ce qui donne, à posteriori, encore plus de force à cette jolie scène durant laquelle il prépare à manger dans l’appartement) le rendent soudainement très humain… Et finalement, on en arrive presque à le plaindre, alors qu’au tout début du film, on le voyait comme le méchant à abattre.

Final Cut

Ceux n’ayant jamais vu un film de Johnnie TO auront sans doute plaisir à suivre Breaking News : il s’agit d’un polar des plus honnêtes, réalisé avec professionnalisme et soutenu par un message loin d’être stupide. Toutefois, les amateurs de films de Hong Kong, et de TO en particulier, regretteront peut-être l’absence de parti pris du metteur en scène. Partagé en l’envie de faire un film sur les images et un film jouant avec les images, TO n’arrive pas à aller jusqu’au bout de ses propres interrogations de cinéaste. Dommage.

Breaking News, film sorti depuis le 20 avril en salles.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur

Breaking News

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Le pitch de Breaking News se pose d’emblée comme diablement excitant : les forces de police souffrent d’un déficit de popularité après une fusillade urbaine durant laquelle un agent de police a levé les mains en l’air et imploré la pitié d’un chef de gang. L’inspecteur Rebecca, en charge de l’image de la police, décide de faire de l’opération de capture de ce gang un véritable show. Chaque policier portera désormais un micro casque dont les images seront reliées à un PC central de la police, puis montées et mises en musique… Justement, l’inspecteur Heng vient de retrouver le gang : ces derniers ont pris un appartement dans un immeuble HLM. La police tente de capturer le groupe, en attendant l’arrivée des renforts. Malheureusement, la situation dégénère, le gang étant très organisé.

Intentions et abstention

« Les films consacrés au monde du crime figurent parmi les oeuvres marquantes du cinéma de Hong Kong (…) En tant que cinéaste, quelles perspectives nouvelles allais-je pouvoir apporter à ce genre et au « style de Hong-Kong » avec lequel il est habituellement associé ? » : voilà l’interrogation que se pose Johnnie TO sur son film Breaking News. Une interrogation légitime et courageuse tout à la fois. En effet, lorsque John WOO (à la fin des années 1980) réalise coup sur coup les chefs d’oeuvre que sont Le syndicat du crime 1 et 2, The Killer, Une balle dans la tête et Hard Boiled, il crée, presque ex nihilo, le genre du polar hongkongais et impose les gunfights comme le nouveau morceau de bravoure du cinéma de Hong Kong. Du coup, passer derrière WOO revenait à essayer de rattraper le maître, mais impossible de sortir de son ombre tant le réalisateur, aujourd’hui exilé aux Etats-Unis, se révélait génial.

Du coup, de timides tentative se sont fait jour pour essayer de représenter les fusillades à l’écran d’une autre manière. Et parmi les artisans de cette relecture du duel, on trouve TO : dans The Mission, l’homme proposait carrément l’antithèse du style de WOO. Au lieu de filmer des scènes tout en mouvement et au ralenti, il laissait ses acteurs immobiles et les filmait en plan large, sans aucun effet. Le résultat se révélait génial : la tension est poussée à l’extrême et le spectateur se prend une gifle visuelle. Avec Running out of time, TO poussait alors le bouchon jusqu’à proposer un polar sans duels, mais reposant cette fois-ci sur une dynamique d’acteurs exceptionnelle.

Dans Breaking News, le metteur en scène chinois propose encore une nouvelle facette du genre, avec un film spectacle, ou plutôt un film sur le spectacle de l’information et de la violence. Pour un réalisateur de Hong Kong, cela revient à remettre en cause le cinéma de genre, trop prompt à faire l’apologie des triades (organisations mafieuses chinoises) et proposer de la violence gratuite en lieu et place d’une quelconque réflexion sur l’image.

Là où le bât blesse

On voit bien ce que TO veut raconter dans Breaking News : en tant que cinéaste, il sait que le montage reste, au cinéma ou à la télé, le travail le plus essentiel. Monter un reportage, ce n’est même pas altérer le sens d’un événement, mais carrément le verbaliser. Lorsqu’au journal télé, on suit un reportage de quelques minutes, il faut bien savoir qu’il y a au moins une heure d’images tournées derrière ! Le spectateur reste tributaire du montage proposé, donc du discours du journaliste.

Seulement, cette idée très courageuse de dénoncer la manipulation de l’image et donc l’illusion que constitue le cinéma n’est finalement jamais traitée. TO semble avoir tourné deux films : le premier, ironique et amer, dénonce une société dans laquelle le culte de l’image a valeur de loi. Le deuxième, par contre, ressemble à un très classique polar hongkongais, avec force explosions, gunfights et morts violentes… Certes, la tension est bien présente dans son film. Certes, le travail effectué sur le son (les détonations sont sur-mixées dans la bande sonore, le spectateur se trouvant presque écrasé) concourt à faire ressentir la violence constante du duel police/gangster. Mais malheureusement, ces efforts de mise en scène tombent à plat. Pourquoi ? Essentiellement par ce que les personnages de TO ne sont qu’esquissés, sans jamais que l’on sente de l’empathie pour eux. Yuan est ainsi le chef de gang presque sympathique, alors que le flic Heng a tout du policier froid et implacable. L’opposition entre les deux hommes reste donc désespérément classique, tant ce genre de figures conflictuelle ont été utilisé au cours de ces 20 dernières années. Du coup, le spectateur suit les protagonistes, mais ne se sent pas concerné par leur destin.

Finalement, il faut attendre la fin du film pour que quelque chose se décante. Lorsque Yuan se retrouve menotté à Rebecca et qu’il tente de s’enfuir, on sent quelque chose de très beau et triste se réaliser à l’image. Yuan dévoile alors ses faiblesses : sa fuite perpétuelle et son absence de tranquillité (ce qui donne, a posteriori, encore plus de force à cette jolie scène durant laquelle il prépare à manger dans l’appartement) le rendent soudainement très humain… Et finalement, on en arrive presque à le plaindre, alors qu’au tout début du film, on le voyait comme le méchant à abattre.

Final Cut

Ceux n’ayant jamais vu un film de Johnnie TO auront sans doute plaisir à suivre Breaking News : il s’agit d’un polar des plus honnêtes, réalisé avec professionnalisme et soutenu par un message loin d’être stupide. Toutefois, les amateurs de films de Hong Kong, et de TO en particulier, regretteront peut-être l’absence de parti pris du metteur en scène. Partagé entre l’envie de faire un film sur les images et un film jouant avec les images, TO n’arrive pas à aller jusqu’au bout de ses propres interrogations de cinéaste. Dommage.

Breaking News, film sorti depuis le 20 avril en salles.

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