Cutie Honey

Fantasme sur grand écran

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Dans l’AnimeLand #109, MEKO décortique avec rigueur ce film tant attendu : on ne reviendra pas sur sa présentation et son analyse générale. Si nous accordons crédits aux propos tenus, nous n’aboutissons pas aux mêmes conclusions. Il n’en reste pas moins que ce long métrage pose effectivement de sérieux problèmes.

Les précieuses ridicules

Si un personnage de bande dessiné apparaissait devant nous, il y a fort à parier qu’il ne se révèlerait pas aussi « réel » ou impressionnant que sur papier. Les jeux de lumière, d’ombre, la texture de sa peau, ou encore ses vêtements… tout cela concourt à tracer une frontière entre le papier et la réalité. Il suffit de voir l’impression ressentie lorsque l’on compare Superman entre sa version comics et celle des films (ou séries télés), ou encore celle de Tintin, pour ressentir une impression de décalage confinant parfois au grotesque… Et voilà ce qui explique pour nous l’échec du long métrage de Cutie Honey : ainsi, Cutie Honey peut se voir comme la transposition littérale du genre manga/anime n’ayant pourtant pas, par nature, d’équivalent direct dans le monde réel.

Songeons-y un instant : dans un manga, comme dans un anime, tout est exagéré, déformé, surligné et maniéré (tout du moins pour une majorité des oeuvres, le film de Perfect Blue de KON Satoshi se singularisant plutôt par une esthétique du réalisme, tout comme les oeuvres manga d’un TANIGUCHI Jirô…). Pourquoi ? Simplement parce que la réalité est un domaine difficile à retranscrire : la simplicité d’un mouvement de tête, d’un coup d’oeil ou d’un regard, tient tout entier d’une très complexe alchimie impossible à restituer avec un simple dessin. Le manga et les anime déforment et exagèrent, car ainsi, ils arrivent à nous toucher et à évoquer le réel. Ils le singent, mais d’une manière nous rappelant ce que nous connaissons. D’où le problème posé par Cutie Honey : ANNO, en faisant de son film un anime grandeur nature, rate du coup le formidable enjeu qu’il aurait pu se fixer. Quel enjeu ? Par exemple, donner corps et crédibilité au personnage de Honey, éminemment cartoonesque, et dont les principales caractéristiques la rendait à priori impossible à adapter au cinéma. C’était là le challenge de films comme les X-Men et Spider-Man : si Brian SINGER ou Sam RAIMI s’étaient contentés de transposer les comics en film, ils auraient sans doute réalisé un film maniéré, voir peut-être ridicule. Pourquoi ? Parce que chaque case d’un comics magnifie les personnages, contient des dialogues souvent mélodramatiques et exagère l’expression des émotions. Les deux réalisateurs ont donc préféré conserver le thème fondamental de la BD (l’histoire d’un adolescent mal dans sa peau pour Spider-Man, des mutants persécutés par les humains dans X-Men) sans hésiter à la trahir ou à en réécrire certains passages, pour arriver à en restituer l’esprit sur pellicule.

ANNO a refusé de se résoudre à une telle entreprise. Du coup, son Cutie Honey, faute de moyens et d’enjeux visuels, ressemble finalement plus à un banal épisode d’X-Or qu’à un blockbuster pour ados : la faute à un budget limité et encore plus choquant ! , à une réalisation décevante (la caméra filme sous des angles improbables et le découpage de l’action se révèle parfois bien imprécis).

Le corps à corps

Et pourtant… Pourtant, au-delà d’une réalisation bancale, au-delà d’un scénario manquant de crédibilité et de cohérence, au-delà d’un jeu d’acteurs parfois horripilant (comprendre surjoué), Cutie Honey se pose comme une oeuvre touchante.

Touchante, du fait même de son statut : un film d’otaku pour otaku ; un film débarrassé de tout enjeu cinématographique ; une sorte de délire de fan, d’expression libidinale pour un personnage virtuel. On dira de Cutie Honey, pour paraphraser Jean-Luc GODARD parlant du cinéma, qu’il est « la vérité 24 fois par seconde » : car tout le film se voit au premier degré, il n’y a aucun double sens, aucune vérité cachée derrière les images, juste une formidable explosion visuelle ne nécessitant aucune réflexion. Un travail absurde et réjouissant tout à la fois.

Pourtant, toujours au-delà de cet aspect, on sent, à travers quelques séquences, que Cutie Honey aurait pu aurait du ? ressembler à autre chose. Un exemple ? La belle androïde se retrouve, dans un ascenseur, face à la méchante Cobalt Claw ayant tué son père. Elle la saisit, se colle à elle et augmentant sa température corporelle, fait littéralement griller son adversaire tout de cuir vêtue. Là où le film avait jusque là tout d’un aimable délire, il bascule soudain dans quelque chose de bien plus trouble et violent : Cutie Honey hurle à la mort, son ennemi aussi, et la scène atteint un certain niveau de violence bien surprenant.

Les méchants du film sont à ce titre assez fascinants : aussi grotesques soient-ils, on ne peut leur nier une dimension hyper-sexuelle, voir fétichiste (cuir, armure, épée…). Et puis, il y bien sûr Honey elle-même, jouée par le mannequin SATO Eriko. On peut effectivement ergoter sur sa performance (certains la jugeront ridicule, d’autre adorable), ou ses mimiques. Mais là encore… SATO incarne pourtant Honey avec une conviction, une détermination et un jusqu’au-boutisme frappant. Car le film tient tout entier sur ses épaules ! Sa naïveté, son aspect cruche (voir quiche, comme le pointe l’article d’AL #109) sont pourtant le parangon d’une esthétique kawaï brodée à longueur de manga et d’anime.

Madeleine proustienne

Alors, Oui ! Cutie Honey est un échec. Oui ! Ce film représente tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de cinéma. Oui ! Le projet d’ANNO Hideaki est absurde et grotesque… Mais tout aussi vrai, Oui ! Cutie Honey représente la tentative la plus parfaite, la plus carrée, la plus vindicative de donner corps à un univers imaginaire et a priori inadaptable. En refusant toute logique réaliste, en refusant complètement de soigner son film, en s’opposant à l’idée même d’adapter, ANNO finit par nous séduire. Derrière l’apparente bêtise de son récit, se dessine la figure du fan de Cutie Honey, de l’adolescent qui devait passer des heures à regarder le dessin animé, et à feuilleter les deux volumes jamais terminés du manga. C’est comme si ANNO avait réussi à retranscrire sur pellicule les souvenirs gardés de son adolescence. Cutie Honey ressemble à un fantasme projeté sur grand écran. Pas un film, mais plutôt une passion. Une passion dont SATO Eriko incarne tous les aboutissants : parfois coquine, à d’autres moments innocente, parfois violente et puis fragile. Et puis, la présence d’éléments que l’on avait déjà vu dans Evangelion (comme la figure du commandant/oncle d’Honey, ou encore le chemin de croix final pour éliminer son ennemi/les souffrances de Shinji lorsqu’il combat les Anges), laisse à penser qu’ANNO a aussi injecté de ses propres obsessions. Moralité : C’est du kitsch, mais du bon !

Remerciements à Meko

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