Films de CHAMBARA et SAMOURAÎS

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Le Samouraï
Contrairement à une idée répandue, le mot samurai ne désigne pas, à l’origine, l’ensemble des hommes d’armes (bushi : guerriers) du Japon féodal, mais l’une de ses catégories particulières. Cette élite émerge réellement au Xe siècle, avec la formation des grands clans guerriers. Ces sortes de gardes, les saburai (litt. “être auprès de quelqu’un”), futurs samouraï (samurai), sont les vassaux de chefs militaires plus ou moins au service des seigneurs de la cour impériale de Kyôto. Leur puissance militaire leur permet, dans le courant du XIIe siècle, de s’imposer à ces derniers par les clans TAIRA et MINAMOTO. À partir de l’époque (1192) du premier shôgun (dictateur militaire) – un MINAMOTO – leur statut tend à devenir héréditaire et à obéir à un code éthique non écrit (Kyûba no Michi : “Voie de l’arc et du cheval”). Le sabre, raccourci, est adopté progressivement comme l’arme de prédilection du samurai, dévoué à son seigneur (daimyô). Après une période de guerres civiles (Sengoku Jidai), les shôgun TOKUGAWA installés à Edo (Tôkyô) imposent la paix et le repli du pays sur lui-même (1603-1868). Le statut du samouraï, strictement héréditaire, est enfermé dans un code éthique rédigé (bushidô : “Voie du guerrier”) qui canalise des ardeurs guerrières promptes à la rébellion par le passé. D’où le développement de la pratique du kendo, qui fait de lui de plus en plus un guerrier “virtuel”. Après la restauration du pouvoir impérial, le samouraï doit choisir d’adopter la nouvelle politique d’ouverture à l’étranger et à la modernité en devenant chevalier d’industrie. Sa disgrâce est officialisée par la limitation du port du sabre (1877).

Un genre cinématographique codifié
Le film de sabre puise ses racines dans le Shinkokugeki, créé en 1917 par l’acteur SAWADA Shôjirô. À la différence du Kabuki, plus traditionnel et stylisé, mais qui l’influence néanmoins aussi, cette forme de théâtre populaire présentait à l’occasion des combats d’escrime réalistes. Dès les années 1920, ce genre, adapté au cinéma, remporte un grand succès du fait de son évocation d’un passé d’autant plus mythifié qu’il est révolu par la limitation stricte du port du sabre. Un certain nombre de codes s’imposent rapidement, passages obligés attendus par le public japonais. Généralement, les scènes de combat vont crescendo, jusqu’au grand duel final, où il ne reste plus que le sabre pour faire triompher le Bien du Mal.

Entre nationalisme guerrier et contestation
L’un des aspects les plus intéressants du film de samouraï réside dans l’histoire de l’évolution de son traitement cinématographique par les réalisateurs japonais. Beaucoup de films de l’époque du muet sont aujourd’hui perdus, à cause de problèmes de conservation ou du fait du séisme de Tôkyô (1923). Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement japonais s’oriente vers la voie du militarisme. Mais le film de sabre ne se contente pas seulement de célébrer un passé guerrier idéalisé. Même si l’on a tendance à y faire triompher d’abord les partisans d’un pouvoir impérial récemment restauré aux dépens du shôgunat déposé. Malgré la censure, des cinéastes lui instillent une forte dose de contestation et de réalisme. Ils sont souvent influencés par le Keiko-Eiga (film à thèse) inspiré par cette gauche prolétarienne à laquelle a appartenu le futur metteur en scène KUROSAWA Akira durant ses années bohèmes consacrées à la peinture. C’est notamment le cas de l’anarchisant ITO Daisuke avec des films comme Le sabre qui tue pour le bien d’autrui (1929). De cette époque date également la vogue du film de yakusa, qui connaît un spectaculaire regain dans les années 1960. Ce voyou ou bandit est souvent un errant se rattachant au genre des récits de vagabondage (Matatabi Mono) lancé par le succès, autour de 1925, des pièces de théâtre de HASEGAWA Shin.Dès ce premier âge d’or du cinéma japonais, qui précède celui des années 1950, les remake sont nombreux. En particulier ceux qui mettent en scène la vie de MUSASHI (1584-1642), archétype du bretteur japonais, également philosophe ; ou la geste des 47 rônin, samouraï déchus acculés au suicide par le shôgun après avoir vengé la perte de leur seigneur provoquée par un courtisan (1701). Les meilleures versions en sont données par MIZOGUCHI Kenji dans Les 47 rônin I et II (1942) et Miyamoto Musashi (1944).

Un humanisme critique
Après 1945, suite à l’occupation américaine qui interdit un temps le film historique, celui-ci renaît rapidement, influencé par une large diffusion des idéaux démocratiques. MIZOGUCHI Kenji, avec Le héros sacrilège (1955), toujours d’après YOSHIKAWA Eiji (La pierre et le sabre), traite de l’émergence du pouvoir du clan TAIRA, moment clé dans l’évolution du statut du samouraï (1137). Après Rashomon (1951) et ses scènes de combat réalistes qui font descendre celui-ci de son piedédestal, KUROSAWA Akira récidive avec l’incontournable Les 7 samouraï (1954) qui montre des guerriers affaiblis de la période des guerres civiles, dans une histoire dont les paysans sont, en définitive, les vainqueurs. La porte de l’enfer (1953) de KINUGASA Teinosuke, très (trop) récompensé en Occident suite au succès de Rashomon et d’ailleurs en partie réalisé dans ce but, se distingue cependant par son thème ici peu orthodoxe : la passion excessive d’un samouraï pour une femme. KOBAYASHI Masaki se révèle autrement plus intéressant, avec des films comme Harakiri (Seppuku, 1963) ou Rébellion (1967). Ils donnent une remarquable vision critique de l’injustice dans le Japon médiéval et de la décadence du statut du samouraï face au pouvoir shôgunal, tout en rappelant que celui-ci est avant tout un homme, avec ses faiblesses. Le flamboyant Kwaidan (Kaidan, 1964), qui revisite le genre du film de fantômes (Bake Mono), comportant souvent du chambara, mérite également l’attention. Mais tous ces films à thèses ne doivent pas faire oublier que les films de sabre, en majorité, s’inscrivent dans la veine de l’aventure et du divertissement. Ainsi, KUROSAWA lui-même y souscrit pleinement en réalisant La forteresse cachée (1958) qui inspire ensuite à son admirateur George LUCAS la trâme du premier Star Wars, avec ses chevaliers Jedi / Jidai…

Vers une dégénérescence du genre ?
À partir des années 1960, une stylisation croissante qui confine parfois à la parodie, le coût des films en costumes et la concurrence de la télévision hâtent le déclin du Jidai-Geki. Mais, paradoxalement, cette évolution est annoncée par deux joyaux de KUROSAWA. Le garde du corps (Yojimbo, 1961) revisite de façon stylisée, distanciée et ironique la période de la fin du shôgunat (Bakumatsu, 1850-1868) dont traitent de nombreux films de sabre. Au passage, il inspire indirectement la relecture de l’épopée de la conquête de l’Ouest par le western-spaghetti. En effet, le déterminant Pour une poignée de dollars (1964) de Sergio LEONE et Bob ROBERTSON est un remake non autorisé de Yojimbo. Dans le duel final, très bref, de Sanjuro (1962), KUROSAWA innove par l’effet du “geyser” de sang, souvent repris par la suite. Sword of Doom (1965) de OKAMOTO Kihachi poursuit dans cette voie en mettant en scène un samouraï assassin et son obsession névrotique de la mort. Le diptyque de KUROSAWA et ce film préfigurent de nombreuses productions moins réussies avec surenchère de violence, érotisation et effets sonores appuyés. Certaines tirent leur épingle du jeu : entre autres, le remarquable La terreur des Sabai (Goyokin, 1969) de GOSHA Hideo ou la série des Baby Cart, tournée au début des années 1970. Inspirée du manga Kozure Okami / Lone Wolf and Cub du duo KOIKE / KOJIMA, celle-ci transgresse volontairement, avec outrance, les vieux codes du film de sabre. Sans parler d’innombrables films de ninja ou de yakusa et de leurs déclinaisons télévisées, dont la picaresque série Matatabi des Zatoichi, avec son masseur aveugle maniant un sabre orienté vers le bas. Récemment, le Jidai-Geki n’a renoué avec sa splendeur passée qu’avec l’aide financière de l’Occident, dans Kagemusha (1980) et Ran (1985) de KUROSAWA. Dans Tabou (Gohatto, 1999), de OSHIMA Nagisa, la milice pro-shôgunale Shinsen Gumi (1863), autre sujet de prédilection du Chambara, est évoquée sous un aspect original, susceptible de faire grincer des dents les tenants traditionalistes de ce genre.

Quoi qu’il en soit, dans les films les plus intéressants du cinéma japonais depuis la Deuxième Guerre mondiale, si le samouraï fascine, plutôt que par sa brutalité guerrière, c’est bien par son humanité et par son imperfection d’homme. Une vision qui doit beaucoup à certains metteurs en scènes et acteurs talentueux qui ont su lui donner corps et vie tels KUROSAWA Akira, KOBAYASHI Masaki, MIFUNE Toshirô ou NAKADAI Tatsuya.

La plupart des films cités, du moins ceux qui sont disponibles en France, peuvent se trouver chez : Arte Vidéo, Les films de ma vie, Ciné Horizon, Panda Films. Shogun Shadow de FURUHATA Yasuo (1989), chez HK, n’est pas cité, pourtant avec OGATA Ken il est assez mauvais.

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