La Princesse à l’éventail de fer

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L’invention de l’animation chinoise

L’animation chinoise n’a pas attendu le hong-kongais Mc Dull dans les nuages, Grand Prix 2003 du long métrage au Festival International du Film d’Animation d’Annecy, pour faire parler d’elle. C’est à Shanghai que, 3 ans après les débuts du cinéma en prises de vue réelles, soit en 1926, le cinéma d’animation chinois est né. Il fut véritablement « inventé » par les frères WAN, qui redécouvrirent, en analysant les oeuvres de FLEISCHER et de DISNEY, les techniques utilisées par leurs confrères américains. Durant plus de 15 ans, ils furent quasiment les seuls à se frotter au cinéma d’animation, pour aboutir à la réalisation, dans des conditions difficiles et sous la menace de l’envahisseur japonais, du premier long métrage animé chinois. Pièce rare, La princesse à l’éventail de fer a été projetée à l’Animathèque par l’Association Française du Cinéma d’Animation (AFCA), grâce à Marie-Claire QUIQUEMELLE, le 24 juin 2003. L’oeuvre, bien au-delà de sa seule existence, annonçait l’animation chinoise à venir, celle du grand studio de Shanghai qui, quelques années plus tard, allait livrer des oeuvres magistrales dont Le roi des singes, réalisé par l’un des frères WAN, WAN Laiming.

Les frères Wan, pionniers

Malgré l’hommage qui lui a été rendu au Festival d’Annecy en 1985, le cinéma d’animation chinois demeure presque inconnu en Occident. Sans doute va-t-il dans un avenir proche tirer profit de l’intérêt grandissant porté à l’animation japonaise, et par extension, asiatique. Les deux derniers Grand Prix du long métrage du Festival d’Annecy, le coréen Mari Iyagi en 2002 et cette année le chinois Mc Dull dans les nuages, signalent l’émergence d’un cinéma d’animation extrême-oriental d’envergure, autre que nippon. La Chine, cependant, peut se prévaloir d’une véritable tradition dans le domaine de l’animation. En témoigne La princesse à l’éventail de fer, oeuvre charnière dans l’histoire du cinéma chinois, à la fois symbole de l’animation des pionniers que furent les frères WAN, et prémisse des grands films des années 60.
Impossible de dissocier l’histoire de l’animation chinoise des frères WAN. Les plus célèbres, les jumeaux Laiming et Guchan, sont nés à Nankin le 8 décembre 1899. Suivent Chaochen puis Jihuan. Ils deviennent scénographes décorateurs pour le jeune cinéma en prises de vue réelles, à Shanghai. En 1926, les quatre frères réalisent leur premier film d’animation, Tumulte dans l’atelier, inspiré du concept des frères FLEISCHER où un homme est aux prises avec des dessins qui bougent indépendamment de sa volonté. En 1932, ils comptabilisent 6 films dont deux contes, La course du lièvre et de la tortue et La cigale et la fourmi, et des films patriotiques aux titres évocateurs, Compatriote, réveille-toi, ou Le prix du sang, inspirés par les agressions japonaises à l’encontre du territoire chinois. La thématique patriotique se retrouve dans leurs films suivants, tournés dans le cadre d’une section d’animation qu’ils ont créée à la demande du studio Mingxin. Le plus jeune s’étant tourné vers la photographie, les frères ne sont plus que trois lors de la réalisation du premier film animé sonore chinois, en 1935, La danse du chameau. Suite à l’occupation de Shanghai par les troupes japonaises le 13 août 1937, les WAN s’enfuient pour Wuhan, avant d’en être chassés de nouveau par les japonais. De retour à Shanghai, une nouvelle équipe d’animateurs s’établit, au sein d’une section spécialisée de la compagnie unifiée Xinhua, toujours autour des frères WAN, lesquels décident de tourner un long métrage animé, le premier de l’histoire de la Chine. Le projet sera miraculeusement mené à son terme du fait de la situation géographique de l’atelier des animateurs, basé dans la concession française (le statut diplomatique de la concession sera respecté par les japonais jusqu ‘en 1941).

Une réussite technique

Le tournage, outre la menace nippone, est laborieux : supportant aussi bien la chaleur suffocante que le froid intense, « 70 dessinateurs, en deux équipes, y travaillent sans interruption pendant un an et quatre mois, tous dans la même pièce », précise Marie-Claire QUIQUEMELLE (1). Le film se fait en noir et blanc, et adapte un épisode de l’incontournable roman traditionnel chinois du XVIe siècle Le voyage en Occident. Le spectateur suit les pérégrinations du bonze Shaseng, du cochon Zhu Baije et du roi des singes Sun Wukong. Chargés de seconder le moine Xuangzang dans sa quête des textes sacrés bouddhiques, les trois compagnons se trouvent bloqués dans leur voyage par une montagne de feu. Après plusieurs vaines tentatives pour éteindre le feu, ils doivent se résoudre à subtiliser un éventail magique appartenant à une princesse, épouse du Roi-buffle. Chacun s’essaye au vol de l’éventail, sans succès, jusqu’à ce que le roi des singes, grâce à ses pouvoirs transformistes et surtout à son intelligence, remplisse sa mission.
Davantage que Sun Wukong, véritable héros du film, dont les traits subissent encore l’influence des dessins animés américains, l’originalité graphique de La princesse à l’éventail de fer tient dans la représentation, volontairement asiatique, de ses personnages humains. La princesse du titre, notamment, s’oppose graphiquement à l’autre épouse du Roi-buffle, aux longs cils et yeux qui la rapprochent davantage d’une Betty Boop. Les décors naturels, également, s’inspirent de l’imagerie asiatique de l’estampe. Les frères WAN ont ainsi accompli une grande avancée vers le style propre, typiquement chinois, qu’ils cherchaient à créer depuis les années 30 (ils avaient exprimé la nécessité de trouver un tel style dans un article paru en 1936 dans le journal interne de la maison de production Mingxin). Mais la plus grande réussite du film est sans doute l’animation extraordinairement réaliste de certaines séquences. Les corps des personnages ont parfois une gestuelle étonnamment (d’autant plus pour l’époque) juste. Marie-Claire QUIQUEMELLE dévoile le « secret » de cet effet troublant en expliquant que ces scènes ont été filmées en premier lieu avec des acteurs, afin de servir ensuite de modèle aux animateurs.
Malgré ses longueurs (les 75 minutes du film ne sont pas toutes passionnantes), La princesse à l’éventail de fer surprend par la qualité de certaines séquences d’animation. A l’époque, son impact s’est mesuré en terme d’audience, le film remportant un large succès auprès du public chinois, indonésien et singapourien (le discours patriotique caché, au moment où l’ennemi japonais étend son emprise sur l’Asie, y est sans doute pour quelque chose).

Et ensuite?

Dans l’élan de La princesse à l’éventail de fer, les frères WAN avaient mis en chantier un second long métrage, Le monde des insectes, qui fut abandonné, la situation politique empirant. Quelques années après la fin de la guerre, l’animation chinoise allait renaître et s’épanouir. Un groupe de jeunes artistes basé dans les années 40 à Hong-Kong, puis établi en 1950 à Shanghai, allait progressivement s’agrandir et attirer les noms prestigieux de WAN Chaochen, puis de Laiming en 1954, et enfin de Guchan. Le studio comptait 200 employés en 1956, près de 380 au début des années 60. Avant sa fermeture en 1965 pour cause de Révolution Culturelle (les animateurs furent envoyés dans les champs en vue de la rééducation obligatoire), le grand studio de Shanghai produisit des oeuvres exceptionnelles où apparaissent régulièrement les frères WAN. Le plus célèbre d’entre tous ces films demeure Le roi des singes (1961-1964), de WAN Laiming, centré de nouveau sur Sun Wukong, aux prises avec l’Empereur de Jade. Le film, loué par la critique occidentale, fut présenté au Festival de Locarno en 1965. On parla alors de l’animation chinoise, puis, plus rien ou presque. Jusqu’à quand ?

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