MASAOKA Kenzô, le père des animé

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Qualifié de DISNEY nippon ou de MELIES japonais, MASAOKA Kenzô doit sa renommée dans le monde de l’animation d’une part au rôle capital qu’il y a joué dans l’avancée des techniques, puisqu’il fut à la fois le premier au Japon à avoir recours au cellulo et à réaliser un film parlant, mais aussi au degré de perfection de ses oeuvres. Cessons donc les comparaisons avec d’autres grands noms pour simplement considérer MASAOKA Kenzô tel qu’en lui-même, c’est-à-dire un grand maître de l’animation.

Né dans une riche famille d’Osaka en 1898, MASAOKA Kenzô reçoit une éducation artistique, basée sur la musique et la peinture. Il apprend la peinture japonaise dans une école d’arts de Kyoto, puis monte à Tôkyô se former à la peinture occidentale. Attiré par le cinéma, il entre en 1925 à la compagnie de production Makino à Kyoto, comme assistant réalisateur de MAKINO Shôzô. Ayant fondé sa propre maison de production, Donbei Production, il réalise en 1927 un film pour enfants, Le palais du coquillage, avec l’aide de sa famille. Entré à la Nikkatsu Uzamasa en 1929, il devient cameraman, puis intègre le département des films éducatifs de la compagnie, comme directeur technique. Le département ferme en 1930, et grâce à l’emprunt des coûts de production, MASAOKA réalise son premier film d’animation, L’île aux singes, en 1932. La même année, il crée son studio de production, MASAOKA Film production, qu’il installe dans sa maison à Kyoto.

MASAOKA, curieux et inventif, décide d’utiliser non pas la technique du papier découpé comme ses confrères, mais le cellulo à l’américaine. Si certains animateurs demeurèrent par la suite fidèles à la technique originelle, tel OFUJI, l’introduction du dessin sur cellulo révolutionna le dessin animé au Japon comme aux Etats-Unis. Cependant le procédé se révèle très coûteux. La collaboration au niveau de la production avec un homme de la compagnie Shochiku, KIDO Shirô, permet à MASAOKA de réaliser le premier film entièrement parlant de l’histoire de l’animation japonaise : Le monde du pouvoir et des femmes. Ce film a aussi bénéficié du travail de KIMURA Hakuzan et de SEO Mitsuyo. Il est projeté le 15 avril 1933 au théâtre Asakusa Teikokukan. Les oeuvres s’enchaînent, dont l’exceptionnel Princesse Kaguya (1933), puis Le voyage de Tachan au fond des mers, L’équipe de base-ball en forêt, Les bonzes mélomanes ou encore La fée des forêts, tous datant de 1934. MASAOKA acquiert le surnom de DISNEY japonais.

La MCJP a pu présenter Les bonzes mélomanes (Chagama ondo) et L’équipe de base-ball en forêt (Mori no yakyûdan). On est tout d’abord secoué par la qualité de l’animation, toute en fluidité malgré sa complexité. Résolument opposés dans leur sujet, les deux courts-métrages permettent d’apprécier l’exploitation d’effets visuels différents par MASAOKA. Le premier est en effet complètement ancré dans le folklore japonais, le second fortement soumis à l’influence occidentale. Dans Les bonzes mélomanes, une attention maximum a été portée à la fluidité de l’animation, tandis que divers éléments sont souvent animés simultanément, ce qui est, encore aujourd’hui, une prouesse technique. Ainsi, dans des décors d’estampes japonaises, les tanuki dansent sur des notes volantes tandis que les feuilles tombent, tout cela dans le même plan ! L’imaginaire nippon convient parfaitement à l’inventivité de MASAOKA, qui anime boîte aux mains magiques et tanuki transformistes, ces derniers changeant leur apparence en autant de trouvailles visuelles excessivement soignées (transformation en bonzes et disciples, en marmite, en échelle de corde…). L’équipe de base-ball en forêt est au contraire fortement inspiré des cartoons américains. Au-delà même du thème de la partie de base-ball, tout rappelle les dessins animés américains : le design des personnages animaliers, tout en rondeurs et gros yeux noirs, leurs gestes très dilués et élastiques, les effets visuels (nuages de poussière et traits accompagnant les mouvements). Apparaissent même une demoiselle Lapin cousine de Betty Boop, et Mickey et Minnie Mouse.

La troisième oeuvre proposée par la MCJP, Benkei contre Ushiwaka (Benkei tai Ushiwaka), de nouveau une référence à la culture nippone, est extrêmement riche concernant l’animation. Elle date de l’époque où, après la faillite du studio du fait de dépenses excessives, MASAOKA est de nouveau indépendant. En 1937, il fonde la Société japonaise des films d’animation, toujours à Kyoto. Film sonore, Benkei contre Ushiwaka (1939) réalisé avec la Shochiku, permet de voir les progrès techniques accomplis. Basé sur la jeunesse d’une figure historique nippone du XIIe siècle, YORITSUNE encore nommé USHIWAKA, le film trace dans une première partie l’apprentissage du sabre par le jeune héros, aidé d’un tengû, au coeur de la forêt. Les arbres ploient sous le vent avec une remarquable mobilité, et le combat opposant Ushiwaka à des oiseaux combattants est une longue scène remarquable dans son souci de rendre au mieux le mouvement, ce qu’elle réussit totalement. La seconde partie, où le grand et fort Benkei affronte Ushiwaka sur le pont Gojo, comporte aussi des séquences exceptionnelles. MASAOKA utilise l’animation à des fins de mise en scène: plan latéral, où la caméra suit l’action, vue en plongée sur le pont, décor animé (le pont est animé quand les personnages le traversent), changement d’échelle des personnages dans le plan (dans un même plan, ils s’éloignent et reviennent, leur taille étant de ce fait modifiée avec la distance). A quoi s’ajoutent le réalisme des mouvements, la cohérence dans la physionomie des personnages et l’excellent acting de Benkei. La bataille finale est quant à elle très drôle et se rapproche du cartoon.

Pendant la guerre, malgré les restrictions budgétaires et la nécessité de suivre des sujets imposés, MASAOKA réalise en 1943 le seul film dont l’histoire est sans rapport avec le conflit. L’araignée et la tulipe (Kumo to Chûrippu) est écrit et réalisé par MASAOKA devenu chef du département animation au sein de la Shochiku. La réaction des autorités militaires est évidemment négative. Et pourtant, quel chef-d’oeuvre ! Pour narrer l’aventure d’une coccinelle réfugiée dans une tulipe pour échapper à une araignée prédatrice, MASAOKA utilise de nombreuses techniques : décors photo-réalistes, cellulo évidemment, grattage de la pellicule pour figurer la pluie battante… L’animation est absolument sublime. La coccinelle est aussi adorable que l’araignée (au design proche des personnages noirs des cartoons) effrayante. Ses multiples bras, indépendants les uns des autres, ont des mouvements tout simplement bluffants ! Toute l’animation est incroyable, personnages, hamac tissé de l’araignée, gouttes de pluie sur la toile, mouvements de fil, fleurs et arbres ployant sous le vent, toile emportée par la pluie… et la mise en scène également ! Une merveille, qui demeure aujourd’hui l’un des fleurons de l’animation et une date dans l’histoire du dessin animé, comme l’expliqua TAKAHATA Isao au Forum des Images le 12 novembre 2002 (voir TAKAHATA rend hommage à MASAOKA).

Après guerre, MASAOKA, avec YAMAMOTO Sanae et MURATA Yasuji, fonde la Nouvelle compagnie japonaise des films d’animation. Il réalise le superbe et poétique Féerie de printemps (Haru no Gensô) en 1946, apologie de la beauté des saisons au graphisme mariant avec grâce réalisme et stylisation. Il n’y a rien du cartoon dans ce film, au contraire, le thème comme la narration semblent fondamentalement japonais. Des papillons infiniment gracieux volent de saison en saison, leurs silhouettes se découpent en ombre chinoise à travers les pétales d’une fleur, des femmes à la gestuelle réaliste et au visage fin, aux yeux délicatement bridés, marchent doucement, le trait est d’une délicatesse à faire frémir. La réalisation est toujours inventive, plongée, vue aérienne, suivi des personnages. Cette autre splendeur n’a pas été diffusée par la Toho, qui l’estima trop artistique et pas assez grand public. Après quelques autres oeuvres, MASAOKA doit abandonner l’animation, frappé de troubles de la vue, en 1949. Reconverti dans la bande dessinée, il recouvre la vue quelques années plus tard, mais ne pourra jamais réaliser son grand projet d’adapter La petite sirène en dessin animé. Il meurt en 1988. On se prend à rêver de ce qu’aurait pu être La petite sirène par MASAOKA Kenzô…

Celui qui a révolutionné les premières heures de l’animation nippone est aussi associé au grand studio d’animation qui allait livrer des chefs-d’oeuvre et former des animateurs et réalisateurs de renom, la Toei animation. En effet, le studio de MASAOKA, devenu en 1952 Compagnie des films d’animation japonais, est acheté par Toei en 1953, et devient en 1956 la fameuse Toei animation.

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